dimanche 8 avril 2012

RÉFORMER L’ÉGLISE, Paul Tihon

Il faut désobéir
pour avancer
Paul Tihon, théologien, jésuite

Par L'APPEL, le magazine chrétien de l'événement http://magazine-appel.be/spip.php?rubrique102

Le mouvement de désobéissance lancé par les prêtres autrichiens a atteint la Belgique catholique.
Paul Tihon est théologien, jésuite et bruxellois. Il a été professeur à Lumen Vitae et conseiller théologique du CIL, le Conseil Interdiocésain des Laïcs. Pour lui, cette transgression pourrait faire avancer l’Église.

Comment jugez-vous le mouvement de contestation né en Autriche ?

–  Que des chrétiens ne suivent pas toujours les directives des évêques, on le sait depuis longtemps.
Le changement, avec l’appel à la désobéissance, c’est le fait de déclarer publiquement et en groupe qu’on ne suivra plus les directives de l’Église sur des points sensibles. Voilà  un mouvement largement soutenu par l’opinion publique autrichienne, initié par Helmut Schüller, ancien vicaire général de Vienne, curé et aumônier universitaire.


Que revendiquent-ils alors ?

–  Les prêtres autrichiens insistent sur des problèmes anciens que le Vatican refuse obstinément de mettre à l’ordre du jour. Ainsi, ils annoncent qu’ils ne refuseront pas de donner la communion aux croyants
divorcés-remariés. Aussi, pour faire face au manque de prêtres, ils pensent qu’il est préférable que la communauté s’organise elle-même plutôt que d’être présidée par des « acteurs en tournée ». Des laïcs
formés, hommes ou femmes, mariés ou non, devraient pouvoir prêcher et diriger des paroisses. Une liturgie de la parole avec distribution de la communion serait alors une « célébration eucharistique en  l’absence de prêtre ».
Ils afficheront leur option en faveur du mariage des prêtres et de l’ordination des femmes.

Le Nord de la Belgique est-il du même avis ?

–  Il y a quelques semaines, des chrétiens de Flandre ont emboîté le pas aux Autrichiens. Ils appellent aussi à la réforme dans un « Manifest van de Werkgroep Kerkenwerk » mais ne parlent pas d’appel à la désobéissance. Il est cependant interpellant pour les évêques de voir qu’en quelques semaines, cet appel a reçu 7.967 signatures de soutien sur Internet. Il est aussi approuvé par de nombreux laïcs et des personnalités connues.

La désobéissance dans l’Église n’est en effet pas un fait nouveau. Mais ces pratiques ne semblent pas modifier la vision qu’ont les autorités. On voit à peine, ici et là, des évêques pratiquer ce que vous appelez une « tolérance tacite ». Pensez-vous que cet appel public sera plus efficace pour faire avancer les réformes indispensables ?

–  La démarche autrichienne rejoint d’autres initiatives. En 2007, quatre théologiens dominicains hollandais ont proposé une solution radicale au manque de prêtres dans la brochure Kerk en ambt largement difusée :  « Que les communautés,  disaient-ils, confient leur présidence, et en conséquence celle de l’eucharistie, à des baptisés choisis par elles (les communautés), hommes ou femmes, mariés ou célibataires, éventuellement pour une durée limitée. Qu’on les propose à l’évêque, précisait ce texte, et s’il refuse de les nommer, que l’on poursuive et qu’on aille de l’avant ! »
Des catholiques en Europe et en Amérique du Nord avaient déjà franchi ce pas dans les années 70.
La question est posée à l'église depuis 50 ans !

 Ce qui ne change rien…

–  Les autorités du Vatican et les évêques ne font que rappeler les positions classiques mais ne proposent
en aucun cas une concertation sur ces propositions. Voilà qui justie le pas supplémentaire des prêtres autrichiens, comme l’explique le préambule de l’« Appel à la désobéissance » : « Le refus de Rome d’adopter des réformes depuis longtemps nécessaires et l’inaction des évêques ne permettent pas seulement, mais exigent que nous suivions notre conscience et que nous agissions de manière autonome. »

L’innovation vient rarement du côté des autorités! Le changement arrive très doucement en général.
Progressivement par l’introduction de nouvelles pratiques contraires au droit avant d’être légitimées. Il faut parfois faire jouer tranquillement le rapport de forces. La difficulté dans l’Église est que celle-ci estime être soumise à un pouvoir de droit divin. Certaines demandes apparaissent comme impensables, intouchables, parce qu’elles sont considérées, parfois à tort, comme faisant partie du cœur de la Révélation.
« Beaucoup de chrétiens se sentent mal à l’aise dans une Église de moins en moins en phase avec la culture de son temps. »

Faites ceci en mémoire de moi

Vous pensez à des points précis ?

–  L’ordination des femmes à la prêtrise ou la célébration eucharistique sans prêtre. L'eucharistie sans prêtre fait peur parce qu’il remet en cause l’ordre ecclésiastique. Mais l’eucharistie ne consiste-t-elle pas à accomplir le message de Jésus : « Faites ceci en mémoire de moi » et « Quand deux ou trois sont réunis
en mon nom, je suis là, au milieu d’eux » ?
Il me semble qu’un mandat a bien été donné à la communauté naissante et non à une caste de spécialistes du culte. Pour plus d’un théologien, la discipline qui réserve la présidence de l’eucharistie à un prêtre ou un évêque est une question disciplinaire et non dogmatique.





Les prêtres autrichiens obtiendront-ils autre chose que des réactions de crispation du côté des autorités de l’Église ? 

–  Ce n’est pas gagné d’avance. C’est une prise de risque voulue et assumée. Au vu de ce qui se passe, beaucoup de chrétiens engagés, solidaires de leur Église et sur-tout du message de l’Évangile, estiment qu’il ne suffit plus de transgresser à la marge, dans la discrétion. Le temps est  venu d’afficher la transgression.

–  Aujourd’hui, la transgression est nécessaire, mais pas n’importe comment. Ce mouvement ne peut être le fait d’un seul individu, mais d’une communauté chrétienne. Il s’agit de proposer des solutions meilleures en restant cohérent avec la visée initiale de l’Évangile, en sauvegardant au maximum la communion de l’Église, quitte à passer par une phase conflictuelle.Beaucoup de chrétiens se sentent mal à l’aise dans une Église de moins en moins en phase avec la culture de son temps. Ne pas les entendre, c’est favoriser la montée
d’une polarisation entre les pour et les contre, rendant à terme toute discussion impossible.


 
Propos recueillis par Christian VAN ROMPAEY 
Paul Tihon a publié l’an dernier Pour libérer l’Évangile aux éditions du Cerf
Paru dans L'APPEL, Avril 2012 (contact : appel@catho.be)

1 commentaire:

  1. Très touchée par ce mouvement et par la lecture du livre de Paul Tihon.

    La grande illusion de l'église romaine - oserais-je dire le Mensonge originel de celle-ci - est de revendiquer être l'Eglise de Jésus. Cette dernière, bien loin d'être une institution sectaire, représente, à mon humble avis, l'ensemble des êtres qui suivent le chemin spirituel qui mène à l'Amour, les êtres en marche vers Dieu, force d'Amour, dans leur évolution, quelque soit, à l'instant t de leur existence terrestre, leur niveau de conscience et de perception de cet Amour. L'Eglise est laïque, comme l'est la spiritualité véritable.
    Il est bon que les individus forment des groupes d'échange, d'entraide dans le but d'avancer ensemble. Mais pour avancer mieux, il leur faut choisir un guide éveillé, un Maître - non pas celui qui commande mais celui qui maîtrise sa pensée et ses émotions.

    L'église romaine devrait évoluer considérablement et très vite, reconnaître ses fautes, rappeler ses bienfaits, ou mieux vaudra qu'elle disparaisse. Et Dieu Sait, pourtant, que notre monde a besoin de spiritualité et de se rappeler l'enseignement de Jésus.
    Merci pour votre attention!

    Julia LUISI - Ajaccio

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