EVANGILE ET ENGAGEMENT POLITIQUE : Par pierre Ansay


‘’EVANGILE ET ENGAGEMENT POLITIQUE’’

CONFÉRENCE DE PIERRE ANSAY (ex président du MOC et ex membre du PSC)


P. Ansay entame son exposé par la lecture d'un poème de Patrick Pearce, initiateur de la révolution irlandaise, qui fut exécuté par les Anglais le lundi de Pâques 1916. Ce récit a été écrit quelques temps avant sa mort. C’est une bonne introduction parce qu'il s'agit de
l'oeuvre d'un catholique engagé.

"Le rebelle".

‘’Je suis issu de la semence du peuple, le peuple qui vit dans l'affliction,
Qui n'a pas d'autres trésors que l'espoir, point d'autre richesse que le
souvenir de la gloire des anciens jours.
Ma mère m'a mis au monde dans l'esclavage, dans l'esclavage elle vint au monde.

Et parce que je suis du peuple, je comprends ceux de mon peuple.
Mon affliction est la leur, ma faim est faite de leurs désirs.
Mon coeur s'est alourdi du chagrin des mères, mes yeux se sont
embués des larmes des enfants.
Leur honte est ma honte, c’est elle qui m'a fait rougir. J'ai rougi de ce
qu'ils aient dû servir, eux qui devraient être libres.
Et maintenant je parle empli de visions.
Je parle à mon peuple et je parle aux maîtres de mon peuple au nom de mon peuple.
Je dis à ceux de mon peuple qu'ils sont augustes et saints, en dépit de leurs chaînes, qu’ils sont plus grands que ceux qui les tiennent en esclavage, et plus fort et plus purs, qu'ils n'ont besoin que de courage et d'invoquer le nom de leur Dieu, le Dieu qui jamais n'oublie, le Dieu bien aimé qui aime ceux pour lesquels il est mort en endurant la honte.

Et je dis aux maîtres de mon peuple (les Anglais) : Prenez garde !
Prenez garde à ce qui vient. Prenez garde au peuple soulevé qui
prendra ce que vous n'avez pas donné.
Pensiez-vous subjuguer le peuple ?
Pensiez-vous que la loi est plus forte que la vie et le désir qu'ont les hommes d'être libres ?
Nous en ferons l'essai sur vous qui avez tourmenté et possédé, qui avez persécuté et suborné, tyrans, hypocrites, menteurs !’’

Comment réfléchir au thème "Evangile et engagement politique" ?

On y réfléchit à partir de ses propres motivations, de sa propre subjectivité, de ce qu'on rencontre dans la vie. Il s'agit d'une question qui nous tombe dessus à un moment donné. Pour P. Ansay, il s'agit d'une question qui s’est imposée lorsqu’il est devenu président
du Mouvement ouvrier chrétien de Bruxelles et qu’il s’est engagé, tout en restant un intellectuel, un peu plus en politique et plus particulièrement dans le Parti Social Chrétien. Force lui a été de constater qu'autour de lui cette question n'était pas du tout traitée,
qu’elle n’était pas même réfléchie. L’orateur estime qu'au Parti Social Chrétien, et plus encore au Mouvement Ouvrier Chrétien, « la Parole de Dieu est comme une lampe qui doit être mise sous le boisseau ».

Et surtout ne pas éclairer !

La question initiale est de savoir comment cette question du lien entre l’Évangile et l’engagement politique apparaît et se développe en nous. Une voix intérieure ? Un signal qui mettrait en évidence le caractère incompatible de ce qu’on vit par rapport à ce
qu’on désire être ?

Il faut relever que l'Evangile est brandi par des gens forts différents. Le frère de P. Ansay, président de Pax Christi et professeur à l'Université de Liège, l'a assuré que certains couvents ont hébergé en Belgique des religieuses et des prêtres responsables du génocide ruandais. Il faut relater le rôle de l'Eglise orthodoxe en Yougoslavie. Il y a eu les guerres de religion durant lesquelles des gens se sont massacrés au nom de l'amour du Christ. Ce même Evangile est la référence commune de Jacques Gaillot et d’André Léonard. Nous savons qu'il y a des chrétiens à Ecolo, au Parti Socialiste, au Parti
Réformateur Libéral et aussi en cherchant bien, au Parti Social Chrétien.

Dans les cabinets sociaux-chrétiens, il n’y a pas de place réservée pour une certaine forme de spiritualité, offerte aux sectateurs dévoués au culte de la fausse urgence. P. Ansay rencontre par contre tous les jours des chrétiens de base qui travaillent dans des
associations et y font preuve d'une inventivité extraordinaire. Il leur consacrera son prochain ouvrage qui paraîtra sous le titre ‘’Signes des temps, signes des gens’’.
Ethique des jours ouvrables ou du jour du Seigneur ?

Au point de départ, on observe une grande séparation entre la sphère de l'éthique et celle du politique. L'intersection entre les deux est-elle vide ou pleine ? A priori, elle est vide. La sphère politique est fortement séparée de celle de l'éthique.
Parlons d'abord de la sphère de l'éthique. Qu'est-ce que l'éthique ? C'est ce qu'il est convenu de désigner comme étant les convictions profondes, celles pour lesquelles on serait disposé à sacrifier sa vie. Par exemple, comme chrétien il ne faut pas attenter à
la vie d'autrui - sauf en des circonstances exceptionnelles. Autre exemple, celui de la pédophilie qui est extrêmement condamnable.

Emmanuel Kant enseigne qu'il faut agir de telle façon que l'autre ne soit pas seulement considéré comme un moyen, mais comme une fin.
Tout être humain est une fin en soi, un être profondément original que nous n'avons pas le droit de maltraiter, de manipuler, en bafouant sa condition d'homme.
A côté de ces convictions très profondes, il y a celles du milieu. Celles-ci sont révisables. Elles sont parfois provisoires. Nous acceptons de les atténuer dans un contexte de pluralisme. On accepte parfois de accommodements.

Il reste les convictions de périphérie. Celles-ci sont relativement opportunistes - on pense aux convictions tactiques de certains politiciens !

Notre éthique repose sur un examen de conscience, une révision de vie. C'est le fait d'être « deux en un ». Il y a toujours place en soi pour l'interrogation et le dialogue, intérieurs ou extérieurs. On n'adhère pas toujours à ses actes. On y laisse toujours des trous pour
une ouverture. P. Ansay appelle cela « une éthique du jour du Seigneur » par rapport à « l'éthique des jours ouvrables ».

Parlons ensuite de la sphère de l'agir politique. Comment peut-on la définir ? L’homme politique agit dans un cadre fait de contraintes. A partir de ces contraintes se produit une dimension mystérieuse, que les philosophes appellent ‘’la dimension démiurgique’’, celle qui définit le pouvoir du politicien de "créer du réel". Ce n'est pas pour rien que les politiciens - à Bruxelles – ne s'intéressent qu'à l'architecture et à l'urbanisme : chacun peut ainsi commencer du neuf à partir de l’arbitraire infondé de sa volonté propre. Ainsi, il faut se battre avec eux pour qu'ils se préoccupent des maisons de repos plutôt que des fontaines et des parcs . Il y a une autre dimension mystérieuse en démocratie qui est
l'accoutumance à l'agir politique. Pourquoi ? Parce qu'il y a quelque chose de séduisant chez les hommes politiques, celle du courage. Il faut avoir du courage pour recevoir des coups et en donner. Il faut du courage pour tuer son adversaire. S'il existe en politique une
dimension conflictuelle, il y a cependant aussi une dimension de
coopération.
Une des règles du jeu est celle de tuer, mais de ne pas tuer jusqu'au bout. Dans le livre de Machiavel, "Le Prince", la politique est inscrite par son auteur dans un contexte de pluralité. De son temps, la pluralité était réduite par des méthodes que nos convictions éthiques actuelles ne peuvent pas accepter.

La démocratie est un jeu de pluralité, d'où le proverbe : "Mon Dieu délivrez-moi de mes amis, de mes ennemis je m'en charge". Ce qui est pénible pour les hommes politiques, c’est la concurrence de leurs amis. Leurs grands amis sont souvent leurs ennemis en politique. Une des plusgrandes souffrance de l'homme politique est liée à la trahison de ses pairs dont il reçoit les coups les plus rudes.

La responsabilité est une autre dimension de l'agir politique. Il s'agit ici de prévoir les effets pervers d'un acte, et de se mettre à la place des gens qui subissent les résultats des prises de décision. Que peut donner la séparation des deux sphères ? Par convention on appelle « la figure de l'homme post-moderne » celle de l'homme politique dont l'agir n'est absolument pas normé par des exigences éthiques intérieures. Ainsi chez les nazis les deux sphères étaient complètement séparées. Le SS Heyndrich était incroyablement
cultivé, excellent musicien, bon père de famille, lecteur de Freud, et ce après avoir fait exécuter des Juifs.


Autre exemple de la séparation de l’éthique et du politique : ‘’l’entourloupette’’ du gouvernement Martens VIII en vue de surmonter l’obstacle créé par la crise de conscience du Roi sur la question de l'avortement. La grande entourloupette a permis de ne pas mettre cette question en débat. On a mis le Roi en impossibilité de régner pendant un jour tandis que la loi était promulguée. Ce qui prouve que les problèmes éthiques sont
secondaires à des moments donnés.
Il y a les cas où le politique est circonscrit par l'éthique. P. Ansay évoque ici « la figure de l'ayatollah ». Ici, la politique n'est que l'application mécanique des convictions éthiques. Il n'y a dès lors pas de place pour l'autre, pour celui qui pense autrement ! Ainsi, Robespierre, qui fut très vertueux et pour qui la politique devait être l'application de ce que lui pensait. Il y a un comportement analogue au sein de l'extrême-droite. L’évolution que connaît le monde remet en cause le mode de vie ancien et les valeurs sur lesquelles a été bâtie notre société. La figure de l'ayatollah veut rendre un sens à notre vie.

Elle est en réaction vis-à-vis de l'homme ‘’post-moderne’’. Mais elle ne tient pas compte de la dimension pluraliste de notre société. Le pluralisme consiste en effet à faire un bout de chemin ensemble, même si le but à atteindre est différent. C'est la pratique du compromis vécue en Belgique.

Il y a enfin le cas où l'on est à la fois éthique et politique, dans des moments où on agit en fonction de convictions profondes – la morale de conviction - mais où en même temps on veut être responsable dans un contexte de pluralisme. On est dès lors dans une éthique de la responsabilité. Les choses deviennent vraiment intéressantes de par cette tension à l'intérieur de soi-même, quand « on est deux en soi-même ». Ne pas se limiter à une politique des bons sentiments, mais s’attacher à réaliser des choses : voilà la responsabilité. Il s’agit donc de réaliser des choses qui sont comme « aimantées » par les convictions morales profondes. Il y a cependant toujours un tiraillement. Exemple : on est contre l'avortement, ne doit- on pas cependant l'accepter s'il y a eu une loi démocratique pour le dépénaliser ? Ou faut-il organiser comme en France des commandos qui font irruption dans les établissements où se pratiquent des interruptions de grossesses ? Faut-il accepter le jeu démocratique quand il s'oppose à ses propres convictions ? Il semble qu'ici la dimension de la responsabilité des actes soit très importante. Celle-ci est liée aux convictions, mais elle se vit cependant dans un contexte de pluralisme. Ce pluralisme, on le voit aussi dans le monde chrétien.

Les chrétiens dans leur ensemble sont plus compliqués que des Léonard et des Gaillot. On peut dessiner un modèle comprenant un axe horizontal et un axe vertical. L'axe horizontal représente la différence gauche-droite. L'axe vertical, l’opposition liberté-autorité. Ainsi, le Mouvement Ouvrier Chrétien est-il un mouvement de gauche fort autoritaire : il est à gauche mais autoritaire. Il y a Guy Verhofstadt qui est à droite mais fort libéral. André Léonard est autoritaire dans certaines positions mais, du point de vue social ou politique, il est assez fort à gauche. Par ailleurs, les théologiens de la libération sont des intégristes sur le plan moral ! On peut donc de la sorte « typologiser » les hommes politiques.

Prophétisme et agression éthique

Que dit l’Evangile à propos de ces trois figures : celle de l’homme « post-moderne », celle de « l’ayatollah » et la troisième figure qui n’est pas nommée ?
La liaison très forte entre l'agir, aussi l’agir politique, et la conviction morale est illustrée dans l'Evangile de Matthieu, au chapitre XXIII : « Ils disent et ne font pas ». C’est un texte terrible, à la limite intolérant.

Retournons aux prophètes poursuit P. Ansay et plus particulièrement aux prophéties d’Amos. Selon le philosophe et théologien américain Michael Walzer, les prophéties ne sont véritablement efficaces que si elles sont capables de produire de véritables agressions éthiques. Une agression éthique peut être salutaire : elle doit mettre en évidence le caractère insupportable de certains actes. De telles agressions éthiques doivent être compréhensibles par tous, pour ceux que l'on veut atteindre et pour
les victimes.

Le livre du Deutéronome dit que « la loi ne doit pas rester dans le ciel ». Elle doit entrer dans « le jour ouvrable ». Elle doit pénétrer la vie quotidienne. « La loi que je te donne aujourd'hui n'est pas extraordinaire, elle n'est pas lointaine , il ne faut pas grimper au
ciel pour l'atteindre. Oui, la loi est fort proche de toi. La parole sur ta bouche est dans ton coeur pour la faire. » La loi doit éveiller le monde environnant à ce qui est meilleur. Cette prophétie n'est pas celle de Jonas : « Encore 40 jours et Ninive sera détruite ». Celle-ci menace d'une catastrophe générale et est adressée au roi. Les prophéties auxquelles on s'intéresse ici ne sont pas de ce type-là, mais bien du type de celles d'Amos : « N'opprimez pas les pauvres ». Un Amos rejoint par Matthieu dans la dénonciation violente. Les prophètes ne sont pas des mystiques. Ils ne sont pas des hommes politiques. Ils ne sont même pas très malins. Ils racontent des choses simples à des gens  simples ! Ils ne cherchent pas à faire des adeptes... P. Ansay voit cependant qu'au Parti social-chrétien, on fait des réunions pour rechercher les moyens d'alléger le sort des pauvres. Mais la question de savoir comment aboutir à ce que les pauvres ne soient jamais plus opprimés n’est pas abordée.

La pauvreté, c’est un rapport, une relation, comme la justice ! C'est ainsi que l'Evangile et l'éthique se rejoignent. L'Evangile enseigne que les autres ne sont pas des machines à exploiter, à opprimer, à manipuler. Ce qui fait appel à la notion de solidarité, une des préoccupations fondamentales de l'action politique. Il faut donner -en éthique évangélique - la possibilité au pauvre de sortir de sa pauvreté et de devenir un citoyen.

Ce qui veut dire limiter la puissance de la richesse qui menace. Le Coran enseigne que derrière toute richesse, il y a un pauvre. C'est pour cette raison qu'il faut limiter la richesse. « Le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument. » Il faut donc redistribuer aux pauvres et limiter la richesse. L'exemple à donner ici est celui de Berlusconi : il est la cible type de la critique prophétique. Il a la capacité d'imposer le silence au prophète.

Mais peut-on vraiment empêcher un prophète de parler ?


Conférence de Pierre ANSAY du 11 juin 1996 : ‘’Evangile et engagement politique’’

LE CENTRE D’ACTION POUR UN PERSONNALISME PLURALISTE
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