vendredi 22 février 2013

Les papes qui détruisent l'église

COMMENT J. RATZINGER A ANÉANTI
L'ÉGLISE DU PEUPLE EN AMÉRIQUE LATINE

 
Joseph Ratzinger est essentiellement connu comme pape mais ses principaux faits d'armes, il faut les chercher durant la période où il était Préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi. En cette qualité, il fut en effet l'architecte d'une des plus vastes campagnes idéologiques et politiques de l'après-guerre, ce qu'on a appelé la « Restauration ».
 
Affiche du Salvador à la mémoire de Monseigneur Romero, assassiné
pendant l'eucharistie.

Néoconservatisme
En 1978 Karol Wojtila (nom du pape Jean-Paul II, ndlr) est appelé à diriger la plus grande communauté religieuse du monde. Il se trouve devant une église post-conciliaire en état de crise profonde : assistance à la messe et vocations en chute libre, nombre élevé de divorces entre catholiques, rejet de l'autorité papale en matière de contrôle des naissances ; un monde plein d'hérésie.
Il souhaite un virage profond et radical. Plus de risques, plus d'expériences, c'en est fini des réflexions et des interventions. On garde sans doute les textes du Concile mais on en enterre l'esprit, tout en prétendant faire l'inverse. La direction « spirituelle » de l'église catholique, se traduit en grande partie dans les faits, par une politique ecclésiale centralisée et orthodoxe, accompagnée d'un réarmement moral et spirituel.
Il faut se remettre dans le climat de cette époque qui présente d'ailleurs bien des ressemblances avec le nôtre. Au milieu des années 1970 commence une profonde crise économique. Le climat mental optimiste des années 1960 bascule et se caractérise par une aspiration à la sécurité et à la protection, le recours à une autorité – de préférence charismatique –, un réveil éthique, la fuite dans le domaine privé et l'irrationnel, etc.
 
C'est sur cet arrière-plan favorable à une église forte, sûre d'elle, directrice et autoritaire, que se développe le « néoconservatisme ». Ce nouveau conservatisme ne se cantonne plus sur la défensive mais lance au contraire une offensive politique et idéologique. Ce courant n'appartient pas qu'à l'église, mais à tous le courant néoconservateur qui s'abat sur le monde dans les années 70 et qui frappera principalement les plus pauvres. Il est porté par de « fortes » personnalités, comme Ronald Reagan, Margaret Thatcher. Jouant habilement des massmedia, ils traduisent une tendance mondiale à accueillir un sauveur, la développent avec des représentations du monde simplistes, rayonnent d'assurance et d'optimisme, etc.

Le « rottweiler de dieu »
 
Une préoccupation de taille pour le pape, consiste en l'irrésistible montée d'une église populaire progressiste en Amérique Latine. Wojtyla est polonais et anticommuniste jusqu'à la moelle ; combattre marxisme et communisme dans le monde est un des buts de sa vie. Comme l'influence du marxisme est indéniable dans le continent, dans les communautés de bases et dans la théologie de la libération, il mettra tout en œuvre pour ramener les pauvres dans le droit chemin.
Pour ce faire, J. Ratzinger sera nommé en 1981 Préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, en quelque sorte le Ministère de l'idéologie et de l'information du Vatican. Il exerce ces fonctions pendant un quart de siècle et il en fera le meilleur usage pour imprimer sa marque sur les événements.
J. Ratzinger devient l'architecte d'une offensive pastorale et ecclésiale d'envergure à laquelle il donne lui-même le nom de « Restauration ». Le but est le renforcement de l'appareil de direction central et la dislocation de toute forme de dissidence à l'intérieur de l'église. J. Ratzinger se révèle bientôt un véritable grand-inquisiteur, ce qui lui vaudra le nom de « rottweiler de dieu ».
Toute l'église catholique est visée mais les flèches sont surtout dirigées vers l'Amérique Latine et c'est là que l'impact politique est de loin le plus important. Nous nous bornerons donc dans la suite de l'article à ce continent.
 
L'anéantissement de l'église du peuple et de la théologie de la libération
 
La première démarche est l'établissement d'une base de données reprenant les conférences épiscopales, les théologiens de la libération, les religieux progressistes, les projets pastoraux suspects, etc. Dans presque tous les diocèses sont nommés des évêques et des cardinaux ultra-conservateurs et ouvertement de droite. Rien qu'au Brésil sont nommés une cinquantaine d'évêques conservateurs. A la fin des années 1980 cinq des 51 évêques péruviens sont membres de l'Opus Dei. Le Chili et la Colombie suivent le même chemin. Des évêques dissidents sont mis sous pression, certains reçoivent des lettres d'avertissement ; à d'autres il est interdit de voyager ou on leur demande des comptes.

Cette politique de nominations est d'autant plus grave que l'épiscopat joue un rôle important dans ce continent. Dans bien des cas c'est la seule opposition possible à la répression militaire, à la torture, etc. Si les évêques du Brésil et du Chili s'étaient tus, comme l'ont fait ceux d'Argentine, le nombre de victimes de la répression eût été bien plus élevé.
 
Aux niveaux inférieurs aussi on a fait le ménage. On retravaille la formation des prêtres en mettant sous pression séminaires et instituts de théologie, en les réorientant ou en les fermant. On tente de mieux contrôler les religieux qui sont souvent protagonistes de l'église de la libération. Une attention spéciale est accordée aux théologiens. Ils sont dorénavant tenus en respect en leur faisant prêter le nouveau serment de fidélité.
En 1984 Ratzinger rédige l'« Instruction de la Sainte Congrégation pour la Doctrine de la foi au sujet de quelques aspects de la théologie de la libération ». Il y attaque de front les théologiens de la libération, surtout ceux d'Amérique Latine. Un an plus tard, il est interdit à Leonardo Boff, une des figures de proue de ce mouvement, de s'exprimer. La mainmise sur les journaux catholiques est renforcée : là où on le juge nécessaire, on les censure, le conseil de rédaction est remplacé ou le journal est mis sous pression financière.
Les projets pastoraux progressistes sont mis sous contrôle ou même on y met fin. En 1989 le Vatican cesse de reconnaître l'Association internationale de la jeunesse catholique, beaucoup trop progressiste. Elle doit céder la place au CIJOC, confessionnel et opposé à la gauche.
Funérailles du père catholique André Jarlan assassiné par l'armée en 1986 au Chili
 
A côté de la destruction de tout ce qui est progressiste, de gigantesques projets sont mis en route pour ramener les croyants dans le droit chemin. Evangélisation 2000 et Lumen 2000 sont des projets à grande échelle visant l'Amérique Latine, qui n'ont pas moins de trois satellites à leur disposition. Les projets sont établis par des personnes et des groupes de droite ultra-conservateurs : Communione e Liberazione, Action Marie, Renouveau catholique charismatique, etc. Les collaborateurs de ces géants de la communication comparent leurs activités à une sorte de nouvelle « puissance de lumière ».
Ceux qui savent lire sont inondés de livres religieux édités à bon marché. Des retraites sont organisées pour les prêtres et les religieuses. Pour ces projets à grand spectacle le sommet de la hiérarchie catholique peut compter sur l'appui financier du monde des affaires.

La peur du rouge pour justifier une néo-croisade anticommuniste
Rien n'est laissé au hasard. Un à un tous les piliers de l'église du peuple d'Amérique Latine sont écartés. Des observateurs parlent du démantèlement d'une église. Nous avons ici affaire à l'une des campagnes idéologiques et politiques les plus importantes de l'après-guerre.
Cette campagne est en phase avec la croisade anticommuniste de la Guerre froide. La Maison Blanche déclencha une contre offensive sur plusieurs fronts. La théologie de la libération fut l'une de ses cibles les plus importantes. Dès la fin des années 1960 la théologie de la libération, encore à un stade embryonnaire, fut considérée comme une menace pour les intérêts géostratégiques des USA, comme en témoigne le rapport Rockefeller.
Dans les années 1970 furent créés des centres théologiques qui devaient engager le combat contre la théologie de la libération. Mais c'est surtout à partir des années 1980 que cette contre offensive atteignit sa vitesse de croisière. Le gouvernement des États-Unis et divers groupes financiers (ITT,...) versèrent des milliards de dollars pour soutenir la contre-révolution en Amérique Latine. Cette sale guerre a fait des dizaines de milliers de victimes. Escadrons de la mort, paramilitaires, mais aussi l'armée régulière ont fait la sale besogne. Dans les rangs des mouvements chrétiens d'amérique latine sont tombés beaucoup de martyrs. Les plus connus sont Mgr Romero, assassiné en pleine célébration eucharistique, les six jésuites du Salvador assassinés par l'armée régulière, l'abbé André Jarlan au Chili, mais aussi des carmélites, des prêtres,...
 
Autre aberration dont on ressent aujourd'hui le retour de manivelle ; pour combattre la théologie de la libération sur son propre terrain, on introduisit des sectes protestantes. Elle reçurent un soutien financier massif des USA. Par des slogans racoleurs et des messages sentimentaux, elles devaient essayer d'attirer les croyants et les arracher à l'influence pernicieuse de la politique et des mouvements sociaux.

Mission accomplie
 
Les efforts cumulés de J. Ratzinger et de la Maison Blanche ont été payants. Dans les années 1990 un coup très dur a été porté à l'église en Amérique Latine. Bien des groupes de base cessent d'exister ou fonctionnent encore à peine par manque de soutien pastoral, par crainte de la répression, parce qu'on ne croit plus à la percée espérée, ou simplement parce qu'ils sont liquidés physiquement. L'optimisme et l'activisme des années 1970 et 1980 font place au doute et à la réflexion.
L'analyse de la société perd de son poids au profit de la culture, de l'éthique et de la spiritualité, tout profit pour J. Ratzinger.
Globalement le centre de gravité passe de la libération à la dévotion, de l'opposition à la consolation, de l'analyse à l'utopie, de la subversion à la survie. Le récit de l'Exode fait place à l'Apocalypse et aux Apôtres.
En Europe, c'est le même schéma de rénovation conservatrice qui s'est imposé, avec un retour en force d'une église moraliste et anti-politique et de plus en plus circonscrite dans les couches supérieures de la population. Si l'Opus Dei revendique clairement la conquête des plus riches, cet embourgeoisement de l'église ne semble pas déranger le reste du clergé, comme en témoigne les nouvelles communautés ou l'enquête menée sur l'origine sociale des participants aux JMJ par le magazine chrétien La Vie : «  Constat ici sans appel : le catholicisme populaire s’étiole. L’Église s’embourgeoise à grande vitesse. » ( Hebdomadaire La Vie, 04/08/2011  Sondage exclusif : qui sont les jeunes cathos des JMJ?)
A la fin du siècle l'église des pauvres n'est en tout cas plus une menace pour l'establishment. Tant le Vatican et le Pentagone que les élites locales d'Amérique Latine ont pour le moment un souci de moins. Cette trêve prend bientôt fin avec l'élection de Rafael Correa, de Lula , de Chavez, de Evo Morales, ... qui se réclament autant catholiques que marxistes et que dire de José Mujica, prêtre catholique devenu président en Uruguay, sous l’œil désapprobateur de Rome. Si ce retour de chrétiens engagés auprès des plus pauvres constitue un indéniable héritage de l'église que J.Ratzinger a détruite, cela n'est cependant pas suffisant pour espérer que cette église renaisse de ses cendres, en ce sens, l'action et la ligne politique futures de l'église comptera beaucoup dans l'avenir des communautés chrétiennes chez les pauvres.
 
La "iglesia del pueblo"
 
En 2005, J. Rarzinger est élu à la tête de l'église catholique. Mais il est bien moins brillant comme manager que comme inquisiteur. C'est finalement un pape faible. Il laisse une institution affaiblie, menacée par un manque de prêtres et un dessèchement à l'ouest ainsi que par des scandales répétés. Il ne réussit pas à mettre de l'ordre dans les affaires du Vatican, peut-être une des raisons pour lesquelles il abdique.

Le prochain pape serait bien avisé de commencer son mandat par un solide examen de conscience de l'action de l'église catholique dans le monde. Si nous catholiques, confions tant en cette institution, n'oublions jamais le prix que le monde lui versé. Ce prix ne se justifiera jamais, ni devant les hommes qui l'ont payé, parfois de leur vie, et encore moins devant Dieu. Aussi pourrions nous, en écoutant notre cœur, réfléchir à cette invitation à l'indignation et au refus d'une église d'injustices du théologien catholique Paul Tihon : « Aujourd’hui, la désobéissance chrétienne est nécessaire, mais pas n’importe comment. Il s’agit de proposer « des solutions meilleures en restant cohérent avec la visée initiale de l’Évangile, en sauvegardant au maximum la communion de l’Église, quitte à passer par une phase conflictuelle. Beaucoup de chrétiens se sentent mal à l’aise dans une Église de moins en moins en phase avec la culture de son temps. Ne pas les entendre, c’est favoriser la montée d’une polarisation entre les pour et les contre, rendant à terme toute discussion impossible»(2).

Fresque populaire à la mémoire du père Carlos Mugica assassiné le 11 mai 1974
 
J. Ratzinger entrera dans l'histoire avant tout comme celui qui a accompli la restauration de l'église catholique et mis l'église du peuple d'Amérique Latine hors d'état de nuire. Ce ne sont pas des mérites négligeables, qui de droit en jugera.

 
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2- Paul Tihon, théologien, dans L'APPEL http://magazine-appel.be/spip.php?rubrique102
Pour les sources de cet article voir La crise de la Théologie de la libération (en néerlandais).
3- Voor de theologische en kerkelijke referenties verwijzen we naar ons artikel Exodus of ballingschap? Balans van 30 jaar bevrijdingstheologie, dat in april 2001 zal verschijnen in het afscheidsboek van professor Georges De Schrijver van de KUL.
4- G. Bottoms, Reopening the debate on marxism and religion, in Communist Review winter 2000, 9-13, p. 12.

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